Article de "La Recherche", N° 310, juin 1998

Le diagnostic de schizophrénie serait facile si quelque turlupin ne venait poser la question qui dérange : pourquoi 60 % des malades consomment-ils tant de haschisch (1) ? Une réponse hâtive consisterait à dire que le cannabis provoque la schizophrénie, ce qu'aucun psychiatre ne soutiendra.

Après plusieurs décennies d'enquêtes auprès de groupes de consommateurs, il ressort qu'un usage occasionnel et modéré ne comporte pas de risques, à moins d'associer le haschisch à d'autres substances telles que l'alcool ou certains médicaments.

L'effet euphorisant que de nombreuses personnes éprouvent est comparable à celui provoqué par certains traitements. Mais la commercialisation du haschisch et des médicaments n'emprunte pas du tout les mêmes circuits. Il s'agit de ceux de notre culture technico-commerciale dans un cas, et de ceux des réseaux d'une culture de l'ombre où la substance chimique prend une signification différente dans l'autre.

Le haschisch, en modifiant dans le cerveau la circulation d'un neuro-médiateur appelé dopamine, agit exactement comme certains antidépresseurs honnis par ces consommateurs ! L'effet chimique est à peu près le même pour tout le monde, mais la signification qu'il prend dépend du contexte social. Or une représentation sociale modifie nos émotions aussi intensément qu'un produit chimique. Substances et discours agissent sur les mêmes zones du cerveau, provoquant un affect d'amour ou de haine. Voilà pourquoi les schizophrènes ont tant d'appétit pour le cannabis : ça fait plaisir (95 %), ça détend (81 %), ça revêt un effet anti-dépresseur (71 %), ça diminue l'énergie (67 %), ça provoque un rebond retardé de l'angoisse (57 %), et ça diminue la résistance aux infections (71 %).

Mais en plus, ça coûte cher (86 %) et ça provoque la désapprobation de l'entourage (85 %) qui participe au sentiment de devenir paranoïaque (71 %)...(2) (3).

Les causes opposées, chimiques et sociales, se combinent pour apaiser certains symptômes (l'angoisse et la dépression) et aggraver d'autres manifestations (moindre résistance, troubles de la mémoire et parfois hallucinations). Mais le soulagement émotionnel est si grand que ces inconvénients paraissent bien secondaires, d'autant que le fait de consommer l'herbe interdite a un effet désaliénant : si vous êtes schizophrène en milieu socialisé, c'est l'hôpital psychiatrique qui vous prendra en charge, diminuera vos productions psychiques douloureuses et vous permettra une certaine adaptation sociale. Mais si vous êtes schizophrène au milieu de consommateurs de chanvre, vous vous sentirez mieux grâce à l'effet chimique, vous côtoierez vos amis dans un milieu moins compétitif. Et si votre délire et vos hallucinations s'aggravent, tout le monde en attribuera la faute à l'herbe ! Vous serez nettement plus désocialisé, mais vous vous sentirez tellement moins schizophrène.

BORIS CYRULNIK

Directeur d'enseignement à la faculté de médecine de Marseille et à la faculté des lettres et sciences humaines de Toulon.

Livres déjà publiés : "L'Ensorcellement du monde", "Un merveilleux malheur", "Les nourritures affectives", éd Odile Jacob.

A lire :

(1) P. Basard, «Paradigmes artificiels : haschisch et hallucinations», Actes de médecine internationale, Psychiatrie, 15, n°207, février 1998.

(2) J. Addington, V. Duchat, « Reasons for substance use in schizophrenia », Acta Psychiatrica Scandinavia, 96, 329-333, 1997

(3) E. Zarifian, Des paradis plein la tête, Odile Jacob, 1994.

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UNE ÉTUDE D’HARVARD MONTRE QUE LE CANNABIS NE CAUSE PAS DE SCHIZOPHRÉNIE. Submitted by Georges Lachaze on Tue, 10/12/2013 - 14:06

http://www.talkingdrugs.org/fr/une-%C3%A9tude-d%E2%80%99harvard-montre-que-le-cannabis-ne-cause-pas-de-schizophr%C3%A9nie

http://www.schres-journal.com/article/S0920-9964(13)00610-5/abstract

http://download.journals.elsevierhealth.com/pdfs/journals/0920-9964/PIIS0920996413006105.pdf